dimanche 1 mai 2016

MUSIQUE : William Sheller aux Folies Bergère

De l'élégance en chanson, ou l'art du récital Shellerien

Son dernier album Stylus est une vraie réussite. En tournée, l'interprète de Un Homme heureux est venu chanter trois jours à Paris, accompagné d'un bon vieux Steinway et d'un quatuor à cordes de l'orchestre philharmonique royal de Liège. De quoi passer une belle soirée !


Les dorures de la salle des Folies Bergère, son salon richement décoré et ses fauteuils d'un autre temps ont un charme fou. Bâti en 1869 et classé Monument historique depuis 1990, cet habitacle accueille depuis quelques temps de plus en plus d'artistes de variété française. Déjà de passage ici en décembre, William Sheller était de retour ces 15, 16 et 17 avril 2016. 

Ce samedi soir, assis dans ces sièges dont l'inconfort n'ont d'égal que le cachet, on reconnait quelques personnalités de haut rang : Mathieu Chédid, Daphné, Jane Birkin ou encore l'immense Véronique Sanson. On serait presque fiers d'appartenir à ce public là...

Toujours à l'heure, sans première partie, William Sheller s'avance sur scène et présente les quatre musiciens qui l'accompagneront. Il s'installe au piano et ouvre son récital avec Oh J'cours tout seul. D'une manière générale, très peu de titres du dernier album seront joués ce soir-là: seulement Bus Stop, Les Souris noires et Petit Pimpon, dont le sens s'éclaire à la lumière des quelques phrases prononcées par William avant de jouer. Car oui, il faut le reconnaitre, William Sheller parle beaucoup entre ses chansons. Il nous avait prévenu dès le début, mais nous sommes un public consentant. Dans son récital, l'homme en noir nous raconte des histoires. Des mots sur des mélodies, des mots sans musique et des musiques sans mots, comme les morceaux Baba Yaga et Pepper Land, instrumentaux sans paroles composés par Sheller et magnifiquement interprétés par le quatuor à cordes belge.

Suspendu à ses lèvres et à ses notes, le temps passe vite. William entonne ses classiques : Nicolas, Fier et fou de vous, Maman est folle, Les Filles de l'Aurore, Dans un vieux Rock'n'Roll, Le Carnet à spirale... Et d'autres perles comme Cuir de Russie, Un Archet sur mes veines, Les Machines absurdes... L'écoute est presque religieuse. 

En hommage à Barbara qu'il admire tant, il chante Les Orgueilleuses et fait même un clin d'oeil à Véronique Sanson avec Photos Souvenirs qu'il avait composé en pensant à elle. La salle des Folies Bergère se transforme alors peu à peu en un grand salon : un ami s'est mis au piano, il nous raconte avec humour et tendresse des anecdotes sur ses rencontres et la naissance de ses chansons.

Quand sonne l'heure des rappels, lui-même sait qu'il ne pourra pas y échapper : "Celle-là si je ne la fais pas je vais ressortir avec du goudron et des plumes !". Résonnent alors les premières notes d'Un Homme heureux, élue chanson de l'année aux Victoires de la Musique en 1992 (Maître Gims avait encore six ans), son titre le plus célèbre et sans doute l'un des plus beaux. Ce soir-là, alors qu'il le joue pour la millionième fois peut-être, l'émotion le submerge pourtant. Une dame est venue lui offrir une rose juste avant: "Je n'ai pas l'habitude", se défend-t-il. C'est aussi cela William Sheller, une sensibilité et une humilité à fleur de peau, un génie discret que l'on aime et que l'on admire à l'infini... En témoigne la longue standing-ovation que lui fait le public à sa sortie de scène. 
Notre ami est parti et, tandis que le salon se vide, les voix fredonnent encore.

ART : Le Musée Gustave Moreau


Un faux air de cabinet de curiosités...

Chambre des merveilles ou bric à brac d’œuvres entassées là depuis un siècle ? Le musée Gustave Moreau à Paris est un lieu étrange qui ne m’a pas laissée indifférente.



Peintre symboliste du XIXe siècle, admirateur de Delacroix et professeur à l’école des Beaux Arts où il eut pour élève Georges Rouault, Gustave Moreau peint des motifs bibliques et mythologiques dans une débauche de couleurs et de formes évanescentes, presque fantomatiques. Une peinture mouvante, instable, et combien étonnante. Dommage que le musée qui lui est consacré et qu’il a lui-même pensée ne rende pas assez hommage à son génie.

C’est Gustave Moreau lui-même qui décide d’aménager sa maison-atelier de trois étages en un musée pour son œuvre. « Je pense à ma mort et au sort de mes pauvres petits travaux et de toutes ces compositions que je prends la peine de réunir. Séparées, elles périssent ; prises ensemble, elles donnent un peu l'idée de ce que j'étais comme artiste et du milieu dans lequel je me plaisais à rêver », écrit-il en 1862. Deux ans avant sa mort, en 1896, le voici donc qui classe, choisit et dispose ses œuvres aux deuxième et troisième étages, transformés en vastes ateliers. Quoi de mieux qu’un artiste pour sélectionner, accrocher et agencer ses propres œuvres ? A première vue, cela paraît être la formule idéale. Sauf qu’en un siècle, les techniques d’exposition ont pas mal évolué.

Le musée Gustave Moreau est si poussiéreux qu’il en perd de son charme. Arpenté par un public du troisième âge, chargé d’une odeur de vieux, il peine à mettre en lumière les œuvres pourtant remarquables de l’artiste qui l’a conçu. Des œuvres amassées sur les murs, un éclairage parfois inexistant, des redites, des tableaux cachés derrière un poêle,  une dizaine de panneaux de dessins sublimes mais déclassés que l’on feuillette sur des panneaux de bois, des feuilles plastifiées portant des numéros avec parfois seulement le titre d’une œuvre, une médiation plate et incomplète qui ne prend pas assez de recul sur la forme et se contente d’éclairer le fond… Le lieu est superbe et ne manque pas de charme, mais la scénographie et l’accrochage mériteraient d’être repensés pour mieux coller aux attentes des spectateurs du XXIe siècle et surtout améliorer leur confort de visite, tout en gardant l’esprit de la maison-atelier et son côté cabinet de curiosité.
Ne le prends pas mal Gustave, c’est pour mieux voir tes œuvres que je dis ça.

mercredi 6 avril 2016

MUSIQUE : Volo à la Manufacture Chanson

N°2/ Zoom sur la nouvelle chanson française : Volo

Deux frérots, deux guitares, des textes ciselés et des mélodies entêtantes, voici le groupe Volo composé de Frédo (ex membre des Wriggles) et Olivier Volovitch, en concert dernièrement à Paris pour notre plus grand plaisir.



Pas si nouveaux dans le paysage de la chanson française, les frères Volo ! Voilà 15 ans que Frédéric et Olivier Volovitch chantent leurs titres auprès d’un public fidèle, du Théâtre des Blancs Manteaux à l’Olympia, en passant par le Trianon et, en mars 2016, la Manufacture Chanson à Paris. C’est dans une petite salle comme celle-ci, d’une cinquantaine de places environ, que s’apprécient le mieux les chansons de Volo. Après quatre albums, leur répertoire commence à être bien fourni, et l’on a même eu la chance d’entendre quelques-unes des nouvelles chansons qui composeront leur prochain opus.

Mais Volo en live, qu’est-ce que c’est ?

Deux chanteurs-guitaristes, aux voix à la fois proches et complémentaires. Au début, on a du mal à distinguer qui est qui sur le disque et puis à force, on sent la différence. Olivier c’est l’amoureux, le timbre aigu, la douceur et le souffle. On lui doit quelques-unes des plus belles ballades du groupe comme T’es Belle ou Le Ciel est gris. Frédo, c'est l'inspiré, le timbre chaud, un vibrato particulier, le phrasé mélodique et percutant. Auteur de La Finale ou Les Lapins pour la touche humoristique, mais aussi des plus touchants morceaux Elisa et Fiston

Sur scène, Oliv' et Frédo se donnent la réplique en chanson. Leurs voix s'accordent parfaitement, comme les deux profils d'un même visage, une sorte de Janus musical où l'harmonie s'impose. Cette belle alchimie est portée par des textes de qualité aux thèmes divers et variés. Des histoires sympas (C'est pas tout ça), des situations banales dans lesquelles se produisent l'improbable (Le Syndrome), des voyages et des balades (Montréal, Dimanche), quelques souvenirs nostalgiques (17 ans, J'ai r'trouvé), de l'amour (Tu Connais) et bien-sûr, un peu de politique (Le Medef, J'hésite, Aucun doute…). Aujourd'hui, rares sont les groupes engagés qui proposent des textes aussi subtils que Volo. Avec un détachement feint, ils poussent l'auditeur à réfléchir et à s'interroger en citant de simples faits, et en évitant ainsi de passer pour des donneurs de leçon. L'une de leurs plus belles chansons est peut-être Jours Heureux, sur le sujet difficile des conflits au Proche et au Moyen-Orient.

Guitaristes autodidactes, les frères Volo n'en sont pas moins de très bons musiciens, qui jouent comme ils chantent : instinctivement, avec beaucoup de ressenti et de passion. Leurs morceaux ont le mérite de proposer des choses nouvelles, étonnantes, qui font leur force et leur originalité.

On a donc vraiment hâte d'écouter leur prochain album, déjà très prometteur… En attendant, si vous en avez l'occasion, je vous invite à les découvrir sur la toile mais surtout en live, s'ils passent près de chez vous.

dimanche 13 mars 2016

MUSIQUE : Scotch & Sofa à La Loge

N° 1/ Zoom sur la nouvelle chanson française : Scotch & Sofa 

Après un premier album en 2012, le duo montpelliérain Scotch & Sofa prépare la sortie de son deuxième opus Ailleurs, prévu pour le printemps 2016. Ils étaient de passage à La Loge à Paris pour un concert intimiste. 



Comment ne pas être envoûté par la voix feutrée, presque féline de Chloé Monin ? Sa musicalité et son timbre chaud, un peu semblable à celui de Maurane, nous séduisent dès les premières notes. Ajoutez à cela les paroles soignées de Céline Righi, la plume de l’ombre, et la virtuosité de Romain Preuss à la guitare et au beatbox, vous obtenez Scotch & Sofa.

Encore peu connus du grand public, ils ont pourtant déjà été adoubés par quelques grands noms de la scène française. Tout d’abord Ours et Oxmo Puccino, que l’on retrouve sur leur premier album, mais aussi Matthieu Chédid qui les a rejoint sur la scène du Cabaret Sauvage en novembre dernier, et Zaz dont ils ont fait la première partie à l’Olympia en janvier.

Ce lundi soir à La Loge, dans le 11e arrondissement de Paris, la petite salle est pleine. L’ambiance est intimiste, Romain (Scotch) fait tout avec sa voix et sa guitare, tandis que Chloé (Sofa), parfaire les arrangements au pad et au clavier.
Parmi les titres revisités du premier album, on retient une très belle version de Ça, initialement chanté en duo avec Ours, ainsi qu’une interprétation frissonnante de Je Glisse, malheureusement troublée par une petite quinte de toux… Les prises de paroles entre les chansons sont encore un peu maladroites et timides, mais ces quelques défauts sont estompés par le charme qui se dégage des mélodies, de la subtilité des arrangements et de la voix.

Parmi les nouvelles chansons, Inondés de Non-Dits est une ballade marquante, sobre et originale qui a enchanté le public. Plus légères et rythmées, Qui fait ça ? et Ça ne m’amuse pas sont taillées pour faire sourire et remuer la foule. Une foule qui chante d’ailleurs avec plaisir à l’invitation de Sofa, notamment pendant les rappels sur Visite des Recoins, et le sublime Sésame Pour Les Cieux, tout en délicatesse et en retenue… Jusqu’au bout, la salle a entonné quelques notes pour prolonger cet instant hors du temps, comme suspendu, où la magie de la musique rassemble et transporte.

Pour découvrir l’univers de Scotch & Sofa, vous pouvez écouter leur premier album Par Petits Bouts et/ou regarder leur tout nouveau clip Ça ne m’amuse pas.

mardi 1 mars 2016

SCENE : Blanche Gardin dans « Je parle toute seule »

Blanche, reine de l’humour noir ?

Après « Il faut que je vous parle », Blanche Gardin remonte sur les planches de La Nouvelle Seine à Paris pour « Je parle toute seule », un nouveau spectacle tout aussi tordant. Ame sensible s’abstenir.



C’est un spectacle de stand-up comme il s’en joue chaque soir dans la capitale. Sauf que celui-ci est interdit au moins de 17 ans et qu’il a été entièrement écrit par son interprète, Blanche Gardin. Ce nom ne vous dit peut-être rien, pourtant elle est selon moi l’une des humoristes les plus douées de sa génération. Après trois saisons passées au Jamel Comedy Club à la fin des années 2000, elle rejoint la bande des WorkinGirls de CANAL+, une série déjantée où elle partage l’écran avec Laurence Arné et Alice Belaïdi, entre autres. Elle participe ensuite à l’écriture du film Le Crocodile du Botswanga avec Fabrice Eboué et Thomas N’Gijol. En 2016, elle joue chaque week-end jusqu’au 26 juin son second spectacle de stand-up à La Nouvelle Seine, au cœur de Paris.

Blanche Gardin est une drôle de poétesse à l’humour trash et un tantinet cynique. « Le bonheur ça n’existe pas, on est entre adultes, on le sait ! », lance-t-elle dès les premières minutes. Le ton est donné : pendant 1h15, Blanche aborde avec un naturel charmant une palette de sujets qui nous bousculent : le suicide, la mort, le sexe, les attentats, la solitude… Avec en bonus quelques digressions scatologiques et d’autres sur l’inceste.
De quoi passer une bonne soirée, me direz-vous.
Et bien justement, cela faisait longtemps que je n’avais pas autant ri, et je n’étais pas la seule. Entre gloussements, sourires timides et esclaffements, le public s’étonne et s’agite devant ce drôle de bout de femme décomplexée.

A demi-bafouillante dans sa petite robe de fille sage, avec son regard doux et ses airs de poupée, Blanche Gardin débite poliment les pires insanités sur sa vie amoureuse, son enfance, ses tracas quotidiens… Renforcé par la mise en scène sobre de Maïa Sandoz, ce décalage est devenu la marque de fabrique de cet humour décapant et cathartique, qui lance aussi bien de vraies pistes de réflexion sur des sujets profonds et parfois tabous.


A 38 ans, Blanche se morfond joyeusement sur sa solitude et sa vie manquée, pourtant, malgré ses introspections sinistres, la demoiselle bourrée de talent n’a pas fini de nous faire rire et réfléchir, ce qui est, on en convient, une sacrée réussite !